The Book Page
Une oeuvre fascinante
Le Dieu sauvage, par Paul OHL, éd. Libre Expression, 1980, 236 pages.
En écrivant ce livre Ohl n’en était pas à ses premières armes; auteur de La guerre olympique (éd. Laffont) et Les gladiateurs de l’Amérique (éd. int. Alain Stanké) pour ne mentionner que ceux-là, Ohl pourrait sans doute être défini comme étant l’auteur du détail et du travail de bénédictin tant ce livre est le fruit d’une recherche sérieuse et complète.
Le Dieu sauvage est en effet, non pas une biographie de James Francis Thorpe (Jim Thorpe), le plus grand athlète de tous les temps (d’ailleurs l’auteur lui-même s’en défend bien), mais plutôt l’ouverture d’un dossier dont les pièces éparses, jonchées ou dissimulées à Carlisle, à New York, à Londres, à Stockholm, à Lausanne, à Washington, à Canton en Ohio, à l’Université de l’Illinois et dans l’officine de plusieurs présidents des États-Unis . . . (p. 13).
Dans une première partie, Le soleil rouge, Ohl nous dépeint en premier lieu une fresque historique où il décrit d’un style incisif l’avance inéluctable de la population blanche et la rapide disparition des Indiens face à cette vague meurtrière (d’aucuns préféreront sans doute le terme génocide); il nous permet par là de camper le phénomène Jim Thorpe, sa montée fulgurante, ses exploits remarquables comme joueur de baseball et de football bien sûr, mais surtout comme dieu du stade aussi bien au pentathlon qu’au décathlon (Ohl nous brosse d’ailleurs un tableau comparatif des exploits de Thorpe avec ceux des divers athlètes des temps modernes) jusqu’à son aboutissement ultime Sir your are the greatest athlete in the world prononcé aux Ve Jeux de Stockholm par le roi Gustave de Suède.
Les second et troisième volets, Procès en terre sacrée et Un Indien errant sont remarquables de style et de verve (à peine peut-on reprocher à l’auteur une étude tellement fouillée que le lecteur se perd quelques fois dans les dates et les organismes concernés), Ohl a su magnifiquement tirer son épingle du jeu en nous décrivant en détail toutes les intrigues de coulisse et de salon et les différents rôles joués par l’AAU (Amateur Athletic Union), le NCAA (National Collegiate Athletic Association), sans oublier le CIO (Comité international olympique) évidemment, que ce soit sous la présidence du baron de Coubertin, de Brundage, de Killanin, etc.
Le sujet est captivant: quel avait été le sacrilège de Thorpe pour qu’on lui crie haro de cette façon? Il a eu le malheur d’avoir joué au baseball durant la saison estivale et avoir reçu des gains (bien modestes en vérité) pour ce faire. Personne d’ailleurs ne lui avait jamais dit qu’il risquait de ce fait d’être en situation de conflit d’intérêt avec un éventuel statut d’amateur. Ce fameux statut si mal défini par les bourgeois et aristocrates qui composent les conseils d’administration d’organismes tels que le CIO. Le 27 janvier 1913 l’AAU prononce une sentence sans appel au cours d’un procès sans témoin: Thorpe est disqualifié et perd de ce fait tous les droits et privilèges (médailles, présents qu’on lui avait remis) que le titre d’amateur lui conférait. Qu’importe que ce soit l’AAU elle- même qui ait sélectionné Thorpe pour participer aux Olympiques et surtout qu’importe qu’elle ait porté son jugement plus de 30 jours après la tenue des Jeux tel que stipulé par les règlements de cette olympiade:
L’auteur nous décrit enfin la carrière professionnelle plus ou moins fructueuse de ce géant du stade.
De par son dynamisme et les recherches sérieuses dont le sujet a été l’objet, l’auteur fait preuve d’une crédibilité sans faille. À ceux qui désespèrent de l’esprit olympique, ce livre ne fera que raffermir davantage leur conviction et ceux qui pensent encore que l’esprit olympique ne faisait que commencer à disparaître se poseront certes la question à savoir s’il n’a jamais existé.
La page couverture enfin résume bien l’essence même du livre tout entier Pourquoi a-t-on condamné sans appel Jim Thorpe . . . parce qu’il était Indien? André Michaud.
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